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Interview: Chevêchette, un chouette livre!

C’est au tour de Frédéric Renaud et Denis Simonin de se préter au jeu de nos interviews, avec la parution de leur livre « Chevêchette »
Frédéric Renaud Denis Simonin livre chevechette

Adepimage :
Bonjour Denis et Frédéric, pouvez-vous vous présenter?

Denis:
Bonjour Christophe. J’ai commencé la photo au du temps du N&B en labo, puis principalement lors de mes voyages, avant de la laisser un peu de coté au profit d’activités plus sportives en montagne. C’est en 2004, avec la démocratisation des reflex numériques que j’ai redécouvert la photo. Je me suis alors orienté de plus en plus vers la photo animalière, qui est devenue une véritable double passion : celle de la photo alliée à celle de la nature. C’est la photo qui m’a amené à découvrir et aimer la nature, à reconnaitre et connaitre des animaux dont je ne connaissais pas même l’existence. Habitant Grenoble et pratiquant la montagne, j’ai une très forte attirance pour la faune de montagne. La photo nature regroupe énormément de pratiques différentes, et seule la rencontre avec la vraie nature sauvage me motive. La phase de recherche et de préparation fait pour moi partie entière du travail de photographe naturaliste, c’est même la plus passionnante, c’est de l’engagement mis dans cette phase que dépendra le plaisir d’obtenir de bonnes images.

Fred :
pour ma part, j’ai pratiqué la photo de reportage et de sport en montagne avant de m’intéresser à la photo animalière. L’avènement du numérique a aussi été un élément primordial dans ma pratique en ouvrant des possibilités jusqu’alors limitées avec l’argentique. Originaire du Haut-Doubs, j’ai toujours été sensible à la faune de moyenne montagne et mon arrivée à Grenoble m’a permis de découvrir les espèces de haute montagne. Je privilégie la photo de proximité, préférant arpenter des secteurs que je connais bien à la recherche d’espèces plus ou moins communes. Il faut dire que les massifs isérois sont très riches et très diversifiés en faune. La recherche, l’observation et la connaissance aussi bien de « mon territoire » que des animaux me passionnent, partager ces instants
est une des motivations de ma démarche.

Adepimage : Maintenant, c’est au tour de votre petite chouette d’être présentée, puisqu’elle est le sujet principal de votre ouvrage !
D’un point de vue étymologique, quelqu’un qui ne connaît pas l’oiseau peut légitimement s’imaginer que la chevêchette une « petite chevêche » ? Dans quelle mesure ?

Denis et Fred:
Effectivement, beaucoup de gens assimilent chevêche et chevêchette. Si elles sont un certain nombre de points communs, y compris une physionomie ressemblante, ce sont vraiment 2 espèces totalement différentes de par leur milieu de vie et leurs mœurs. La chevêche est relativement commune sur la totalité du territoire français, et se retrouve dans des habitats variés (plaines agricoles, vergers, patûrages,), souvent proche des activités humaines.  La chevêchette quant à elle se trouve exclusivement en forêt d’altitude dans les massifs de l’est de la France (Vosges, Jura, et principalement Alpes), dans des milieux très sauvages. De par sa très petite taille (environ 15cm de haut) et l’endroit où elle vit, son observation est beaucoup plus difficile que celle de la chevêche.
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Adepimage : Avant ce travail, quel était le niveau de connaissance de l’espèce ? Votre travail a-t-il permis de compléter ces connaissances ? Avez-vous collaboré avec des ornithologues, chercheurs spécialisés sur l’espèce etc ?

Au départ, le niveau de connaissance se limitait à savoir qu’elle existait, connaitre son biotope et son chant. Ensuite, oui nous avons énormément appris sur cette espèce à son contact. Je peux même dire que quasiment tout ce que nous savons d’elle, nous l’avons observé sur le terrain. Nous n’avons pas vraiment collaboré avec des ornithologues, par contre toutes nos informations, y compris sur les sites de nidification, nous les avons transmises à la LPO.

Adepimage : Lorsque l’on travaille assidûment sur une espèce, on peut être amené à croiser plusieurs fois un même individu, voir le suivre sur une période plus ou moins longue, est-ce le cas pour vous?
Est-il possible de reconnaître certains individus, si oui comment ?

Sur une période donnée (un cycle de repro), on est certain de recroiser toujours les mêmes individus mais il impossible de reconnaitre un individu d’une année sur l’autre sauf s’il a vraiment un signe distinctif particulier, ce qui ne nous est jamais arrivé. Ensuite on peut faire des suppositions, lorsqu’une année on retrouve des individus dans le même secteur que l’année d’avant, mais même si nous sommes convaincus que c’est le même, il n’y a pas de certitude absolue.
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Adepimage : Une monographie peut souvent être perçue comme un sujet élitiste ou réservé à un public restreint depassionnés /spécialistes, et donc pas forcément « vendeur » ou risqué pour un éditeur. Est-cela qui a dicté votre choix d’auto-édition ou une envie de contrôler votre projet de A à Z ?

Si nous avions eu un éditeur qui s’était jeté sur le projet, nous l’aurions pris. Au départ, nous avons tenté d’une part de démarcher des partenaires financiers, et d’autre part des éditeurs. Mais devant le peu de résultat et voyant que nous ne pourrions être prêt pour Montier en Der, nous avons abandonné ces voies et lancé  une souscription, non sans une certaine appréhension car de son succès
dépendait le projet. Finalement la souscription a dépassé nos espérances et nous a permis de financer une partie du projet. Au final, nous ne regrettons pas du tout d’avoir fait ce choix d’auto-édition, nous nous sommes fait plaisir en concevant ce livre de A à Z, sans aucune contrainte extérieure et dans un délai impossible à tenir si nous avions du composer avec un éditeur.

Adepimage : Vous avez choisi de travailler en binôme afin de cumuler votre présence sur le terrain, et de mutualiser vos observations et connaissances de l’espèce. Concrètement comment cela se passait-il ? Partagiez-vous chacun un espace de travail ou cumuliez-vous un temps de présence sur les même sites?(ou un mixe ?)

C’est simple, nous avons tout partagé. Au départ, nous avons échangé des infos sur des localisations, sur des observations. Puis, nous avons uni nos efforts pour rechercher les sites de nidification, pour obtenir les comportements que nous n’avions pas (accouplements, nourrissages)., et pour avoir des images d’un maximum de milieux différents. A deux on passe deux fois plus de temps sur le terrain, on a donc deux fois plus de chance de pouvoir photographier la scène souhaitée.. Concernant le travail sur livre, nous avons sélectionné ensemble les images, et avons écris et travaillé les textes à deux.
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Adepimage : Un travail en binôme, si c’est une complémentarité évidente, c’est aussi devoir faire des concessions, avez-vous eut des divergences ?

Sur la manière de travailler, non aucune, nous avons la même vision de la pratique de la photo nature. Sur le choix des images, avec la quantité de bonnes images de l’espèce que nous avons chacun,  il y en a forcément que l’on aurait aimé voir dans le livre et qui n’y sont pas, mais là non plus il n’y a jamais eu de divergence.  Le but était de montrer le maximum de choses de la vie de la chevêchette et pas « nos 120 plus belles photos de chevêchette ».

Adepimage : Dans ce type de travail de longue haleine, il y a toujours des moments clés, ou inespérés que nous offre la nature, un peu en récompense d’un long labeur. Avez-vous réalisé des observations
voir des clichés que vous n’auriez jamais rêvé ?

Denis : Oui, la photo de la chevêchette en train de plumer la mésange : je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion d’assister à une telle scène, je crois que Fred ne l’a jamais vu non plus, et elle s’est déroulée à moins de 10m de mon objectif, avec un fond uni… une série d’images que je n’aurais pas rêvé faire.
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Fred : jusqu’à cette année, toutes les scènes de nourrissages de jeunes auxquelles j’avais pu assister se passaient très haut dans les arbres, et les images n’étaient pas très intéressantes. C’était un de mes objectifs de l’année, et ce printemps, j’ai eu la chance de pouvoir observer et photographier ces scènes avec une très grande proximité, parfois même au grand angle, et dans des conditions de lumière parfaitement exploitables.

Adepimage: A l’inverse avez-vous manqué des moments clés ou vraiment espérés, compte tenu de conditions météo défavorables, de prédation etc…

Nous aurions aimé pouvoir réaliser des photos d’accouplement sans flash, mais l’occasion ne s’est pas présentée. Même si nous pensons avoir réalisé un travail assez complet sur cette chouette, il y a encore des comportements que nous avons observé sans pouvoir les photographier. Le bain, une prédation « en direct », ou l’envol d’un jeune de la cavité…
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Adepimage : Si vous ne deviez retenir qu’une seule photo chacun (que vous avez réalisée), quelle serait-elle et pourquoi ?

Denis : Une de la série du plumage de mésange. De telles images ne se commandent pas, on ne peut pas les mettre en scène, elles nous sont offertes par la nature. Je n’ai jamais eu l’occasion de voir d’autres images d’une telle scène.

Fred : Difficile de choisir, chaque image est chargée de souvenirs… Le coucher de soleil page 32 par exemple, parce que c’est une image que j’avais espéré pouvoir faire. J’avais justement prospecté ce secteur pour son orientation face au soleil couchant, et pour pouvoir exploiter les belles lumières du soir.
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Adepimage : Et quelle est la photo de votre binôme que vous préférez ?

Denis : Difficile d’en choisir une seule… alors peut-être celle du nourrissage (page 152 du livre) parce que je n’ai jamais pu en faire d’aussi bonne o)

Fred : j’aime beaucoup ses photos dans les mélèzes, mais je retiendrai aussi celle sous les flocons, c’est une ambiance dans laquelle j’aimerais beaucoup photographier la chevêchette.

Adepimage : La sortie du livre est une belle consécration pour tout travail de longue haleine. Allez-vous continuer à photographier « vos » chevêchettes ?

Fred et Denis:
Oui bien sur, mais de toute évidence en y consacrant beaucoup moins de temps ! Et puis sans parler de photo, juste pour aller les observer, ou le plaisir d’emmener quelqu’un les observer.

Adepimage : J’imagine que l’actualité du livre va vous occuper un moment, après avoir notamment exposé à Montier, y-a-t-il d’autres rencontres prévues ?

C’est vrai qu’une fois le livre sorti, le travail n’est pas fini, les ventes, les envois, la promotion prennent beaucoup de temps. Nous essayerons d’exposer dans différents festivals ou évènements dans l’année, le programme n’est pas encore défini mais toutes les dates seront disponibles et annoncées sur le site www.unchouettelivre.com ou sur la page Facebook du bouquin…

Adepimage : Pensez-vous à d’autres collaborations ? Si oui, sur quel sujet ?

Denis : Cette collaboration n’a pas été calculée à l’avance, ça s’est présenté comme ça. Vu que cela s’est bien passé, oui pourquoi pas, mais il n’y a pas de projet aujourd’hui dans ce sens.
Fred : notre collaboration continue, sur le terrain avant tout et dans le partage, pour aller plus loin dans l’observation et la photo, et c’est bien là l’essentiel pour nous.

Interview: Les ailes de la Loire, le livre d’Olivier Simon

C’est cette fois-ci le travail du photographe Olivier Simon que nous vous proposons de découvrir.

Les ailes de la loire - Olivier Simon

 Salut Olivier, peux-tu te présenter rapidement:
Bonjour Christophe, J’ai 39 ans, je vis en Touraine et je suis photographe amateur depuis une dizaine d’années maintenant. Ayant toujours vécu sur les bords de la Loire, je me suis rapidement intéressé à la faune de la vallée. Simple observateur au début, j’ai eu envie par la suite de garder des souvenirs de mes balades et de mes rencontres avec la faune ligérienne. La photo est très complémentaire avec ma passion pour la Nature et je passe beaucoup de temps à affuter durant toute l’année.

Tu photographies la Loire assidument (je serai tenté de dire intensivement :) depuis plusieurs années, à tel point que ton travail est devenu incontournable dès qu’on pense photo nature autour du fleuve, qu’est ce qui te motive autant?
J’ai la chance de vivre près de mon terrain de jeu et j’en profite au maximum. Quand les migrateurs sont de retour et que les jours s’allongent, je vais sur l’eau dès la sortie de mon travail. Le temps passé sur le terrain me permet de progresser techniquement et surtout de forcer la chance afin de capturer des scènes rares ou insolites. Mais c’est avant tout un plaisir de me retrouver seul sur le fleuve dans mon petit affût flottant avec pour seule compagnie les oiseaux sauvages.
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 Un livre, c’est un moment important dans la vie d’un auteur, dans quel contexte est né le tien?
C’est en partageant ma passion pour le fleuve sur des forums de discussion et lors d’expositions que l’idée de faire un livre m’a été suggérée. Je ne pouvais imaginer qu’un éditeur puisse m’accorder sa confiance et parier sur la qualité de mes images. Cela a pourtant été le cas avec Biotope qui a tout de suite répondu favorablement à ma proposition d’ouvrage sur la Loire. J’ai été le premier surpris !

Le livre comporte plus de 200 photos, comment s’est déroulée la sélection? Étant donné l’ampleur de ta production sur « ton » fleuve, ça n’a pas dû être facile, as-tu dû batailler pour défendre certaines images qui te paraissaient incontournables ou qui te tenaient particulièrement à cœur?
J’ai proposé une sélection à l’éditeur qui m’a juste demandé d’équilibrer le nombre d’images entre les espèces « phare » pour ne pas que certaines soient sur-représentées. J’ai vraiment de la chance d’avoir eu carte blanche pour la sélection d’images, les textes et le fil conducteur du livre. Je remercie Biotope pour ça car l’ouvrage ressemble vraiment à ce qu’était mon projet initial.

As-tu une idée du temps passé à patauger dans l’eau pour ce livre?
Les images du livre ont été réalisées sur une période allant de 2005 à 2011. Le nombre d’heures et de sorties sur le terrain est impossible à estimer, je ne tiens pas de carnet à jour mais il doit être assez important. En 2006 et 2007, je faisais plus de 7 affûts par semaine lors des bonnes périodes.

A ce niveau de qualité photographique, j’imagine que tu fais partie des éternels insatisfaits? :) Tu dois bien avoir en tête quelques images que tu n’as pas encore réalisées et que tu aurais aimé intégrer au livre?
Bien sûr, il y a quelques comportements que j’ai observé mais sans jamais pouvoir les photographier convenablement. Je pense au notamment au piqué du balbuzard pêcheur ou à l’accouplement des mouettes mélanocéphales.
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Et à l’inverse, certaines dont tu n’aurais pas rêvé faire un jour, ou qui tiennent d’un sacré coup de chance etc?
La chance joue un rôle, c’est certain, il en faut un peu parfois. Je montre dans le livre une séquence où un chevreuil traverse un bras du fleuve pour rejoindre une île boisée, je ne l’ai observé qu’une seule fois et je peux m’estimer heureux d’avoir été là au bon endroit et au bon moment.

Une photo préférée parmi toutes celles du livre? Ou celle qui t’as donné le plus de fil à retordre ?
Il y a une photo d’une sterne pierregarin nourrissant un poussin que j’aime particulièrement. Ce n’est surement pas la plus belle du livre mais elle représente pour moi toute la vie qui naît grâce au fleuve.
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Quelques semaines après la sortie du livre, quels sont les retours du public?
Ils sont plutôt bons et je ne vais pas m’en plaindre. Cela fait plaisir de voir que ses images touchent les gens. J’attends mes prochaines expos et les festivals dédiés à l’image nature comme Ménigoute ou Montier-en-Der pour avoir des retours plus direct des passionnés.

Ce livre t’as-il donné des idées pour un suivant? Peut-être « les pattes(ou les poils) de la loire?
Je vais tâcher de promouvoir celui-ci le mieux possible dans un premier temps. Après j’aimerais plutôt me consacrer à un ouvrage collectif avec les membres d’Eresus Nature. A nous 6, nous avons un sacré stock d’images de qualité qui pourraient faire un beau livre sur la Nature.

Enfin quelle est l’actualité à venir du livre?
Je vais exposer à la Galerie du Lion d’Orléans pendant deux mois à partir du 15 septembre prochain. Je serais présent aux festivals de Ménigoute et de Montier en Der sur le stand de mon éditeur à l’automne prochain. Quelques conférences sur la Loire auront lieu entre la fin de l’année et le début 2012, les dates et lieux seront indiquées sur mon site web

Merci à l’équipe d’ADEPIMAGE pour l’intérêt que vous portez à mon travail !

Interview: » De perles et de feu » le nouveau livre de Philippe Moës

C’est au tour cette fois de Philippe Moës de se prêter au jeu de nos questions, avec la sortie de son nouvel ouvrage « De perles et feu » aux éditions du Perron. Bien plus qu’un simple photographe, Philippe est un auteur complet, puisqu’il écrit aussi les textes de ses livres, dans un style très poétique.
De Perles et de feu_Editions du Perron

Adepimage: Salut Philippe, on se croise régulièrement sur les forums de photo nature et dans les festivals, mais peux-tu te présenter rapidement:
Philippe Moës:
Salut Christophe. En résumé je dirais qu’au départ, c’est la nature qui m’a attiré vers la photo et non l’inverse. J’ai commencé de manière totalement autodidacte il y a plus de 20 ans, avec des moyens vraiment ridicules (genre 135mm – plein format à l’époque bien sûr- pendant 3 ans pour des photos -floues- de chevreuils, mes premiers sujets) et des connaissances vraiment nulles en matière de prise de vues. J’ai donc perdu énormément de temps en termes de résultats-photos (pas en termes de connaissances naturalistes heureusement).
Au fil des ans, mon obsession beaucoup trop exclusive des cervidés a fait place à un désir d’aborder tout ce qui touche à la forêt, puis à en sortir petit à petit.
Je reste donc naturaliste au sens large avant d’être photographe et même si j’ai forcément quelques sujets de prédilection, mon approche se veut actuellement la plus polyvalente possible (mammifères, oiseaux, paysages et macro).
Dans ce même souci de polyvalence, jusqu’ici j’ai toujours produit à la fois les images et les textes de mes cinq ouvrages.
Côté sensibilité, je cherche autant que possible à donner autant d’importance au milieu dans lequel se trouve le sujet qu’au sujet lui-même ; j’ai une prédilection pour la traduction d’ambiance et lumières particulières, ainsi que pour les paysages animaliers. Ce sont ces images qui, à mes yeux, traduisent le mieux une émotion vécue sur le terrain, même si bien sûr je ne dédaigne pas les portraits, quoique plus « classiques » à mes yeux.

Adepimage: Tu viens de publier ton 4ème livre, dans la droite lignée du précédent  » Ardenne, de sève et de sang » peux-tu nous le présenter?
Philippe:
Comme « Ardenne de sève et de sang » dont il constitue en quelques sorte la « suite », c’est un livre à la fois de texte et d’images, même si cette fois j’ai laissé tomber le volet pédagogique pour ne garder que celui narratif, voire contemplatif.
Les perles évoquent, pour les images, l’eau sous toutes ses formes (neige, brume, pluie, rosée, plan d’eau, glace…) et pour les textes, des perles de souvenirs. Le feu quant à lui, fait référence aux couleurs des aubes et crépuscules colorés que j’apprécie particulièrement, ainsi qu’au feu de la passion pour les récits.
C’est donc un recueil plus artistique que les précédents, dans lequel une attention particulière est apportée aux ambiances.

Adepimage: Pour cet ouvrage, on sent un penchant encore plus prononcé pour les lumières chaudes, vaporeuses, éphémères… Qu’est-ce qui t’attire dans ces ambiances souvent fugaces?
Philippe:
C’est une question de sensibilité personnelle avant tout, elle-même liée à un ensemble de choses, un peu trop longues à détailler ici…
En résumé, je dirais qu’à partir du moment où j’éprouve sur le terrain infiniment plus d’émotion devant un lever de soleil dans la brume à contrejour ou un paysage dans le brouillard que devant un soleil pétant et un ciel bleu, ce sont ces émotions que je dois essayer de traduire, par les images comme par le texte.
Au-delà de cela, la quête de la rareté –car par définition les lumières éphémères sont rares- a aussi un sens ; les moments qui y sont associés sont forcément plus forts que tout autre et clairement, il est bien plus difficile d’associer présence du sujet, au bon endroit, dans un beau décor et dans une lumière rare que de réaliser une « simple » image d’un sujet déterminé, fut-ce un gros plan parfois également assez difficile à réaliser.
Bref, je ne dirais pas que je cherche la difficulté, mais il y a sans doute un petit goût de « défi » quand même… :)

Adepimage: Comment t’es venue l’idée de ce livre?
Philippe:
Je suis du genre à me remettre souvent en question et depuis la parution de mon premier ouvrage -qui pourtant était censé être un « one shot » dans mon esprit au départ-, j’ai réalisé que la confection de livres devenait pour moi l’ultime but de mon activité photographique, celui qui me donnait le plus de plaisir et qui parfois, pouvait également se montrer utile (cfr volet didactique dans « Ardenne » et volet éthique dans « La photographie en forêt –Pratique-Ethique»).
J’ai donc continué à réaliser des clichés dans mon domaine de prédilection –faune et paysages de chez nous-, tout en sortant volontairement un peu plus du domaine forestier dans lequel je ne voulais pas m’« enfermer ».
Le souci de valoriser notre patrimoine local m’habite également depuis le début et se retrouve une fois encore dans ce dernier ouvrage.
Par ailleurs, j’ai toujours été fasciné par l’eau et le fil conducteur que tu connais s’est donc dégagé.

Adepimage: Photographiquement parlant, quels en sont les moments clés pour toi?
Philippe:
Le moment charnière pour la réalisation d’une bonne partie des images présentées a certainement été la possibilité de faire enfin de l’affût flottant, avec un rendement photographique incomparable à la clé !
grebe huppe

 Concernant les images les plus fortes pour moi, je citerai avant tout celle du grand duc en plein massif forestier, en particulier le cliché chanceux où on le voit dévorer une buse qu’il vient de capturer sur un tronc moussu dans la forêt détrempée, situation et ambiance inespérées…
Grand duc ayant capture une buse variable
La plupart des autres images ont par contre été « construites » dans ma tête avant de les réaliser sur le terrain et pour celles-là bien sûr, le moment a été fort également ; je pense aux silhouettes se découpant à contrejour dans les « feux de brume » ou dans le ciel, aux tant attendues rencontres avec le chat sauvage, au cerf dans le brouillard, aux séquences de pêche de la garzette, à la halte des grues dans une tourbière ardennaise embrumée…

Adepimage: Ton travail photographique est aussi complété par celui d’écriture puisque tu rédiges tes textes, et qui du coup constituent un ensemble très complet et d’autant original. Un choix engagé? Un besoin d’aller au delà des images ou un complément naturel pour toi?
Philippe:
Il est vrai que jusqu’ici, je mets un point d’honneur à réaliser autant les textes que les images de mes ouvrages; ce n’est pas l’option la plus facile, mais il y a plusieurs raisons à ce choix délibéré.

D’abord, j’ai beaucoup d’admiration pour les rares personnes qui conjuguent talent photographique et littéraire. A cet égard, des livres comme « Avec les loups » de Jim Brandenburg ou « Terre de renard » de Fabrice Cahez sont pour moi des références en la matière depuis des années (l’ultime référence en texte naturaliste étant pour moi Maurice Genevoix).
De cette vision des choses a logiquement découlé ma volonté de présenter des ouvrages « complets », traduisant cette polyvalence évoquée plus haut et que je cherche à cultiver dans divers domaines. Par ailleurs, en passant, je rechigne moi-même à acquérir un beau livre si ce n’est pas pour m’y « plonger » au moins une heure…
Reste donc à chaque fois pour moi le problème épineux de trouver le fil conducteur de mes livres ; et si c’est plus ou moins « facile » d’aligner des images les unes à la suite des autres, je dois bien avouer que quand il s’agit de « se donner » au travers de l’écriture, on en vient parfois à la notion de défi… Et c’est là un autre aspect de mon travail et de ma perception des choses, fidèle au principe selon lequel la satisfaction personnelle est d’autant plus grande que l’effort fourni a été grand. Non, ce n’est pas du masochisme…(rires).

Par ailleurs, par le texte, je considère que certains messages importants, non visibles dans les images, peuvent passer ; c’est ainsi que dans certains des ouvrages précédents, j’ai délibérément prévu des volets pédagogiques (mais pas dans ce dernier ouvrage, que j’ai voulu purement narratif).

Enfin, je pense que les mots sont un bel outil pour asseoir le caractère personnel d’un livre, qui dès lors reflète l’auteur à 100 %.
En outre, sur le plan purement sentimental, je sais que cela fera de chouettes souvenirs pour moi et de fidèles témoignages pour mes enfants, au moins…

Deux extraits choisis par l’auteur, délibérément différents :

1) « Six heures. La pluie, battante depuis deux jours, fait place à la bruine. En principe, le soleil est passé au-dessus de l’horizon, mais la nuit résiste, faisant traîner son ombre sur la campagne et le doute quant à l’issue de son duel avec l’astre du jour. En ce matin morose, sur la crête, le ciel rejoint la terre par endroits, accrochant çà et là des écharpes de nuages à la frondaison fraîchement garnie des grands arbres. Sur les limbes tout neufs, des perles d’eau se forment et se déforment ; certaines tardent à plonger dans le vide, d’autres se laissent emporter en masse vers leur destin, offrant au passage un apaisant concert à l’oreille réceptive. Mais ce matin je n’ai pas l’âme mélomane. Je suis venu pour le chat et depuis un moment déjà, ces gouttes me contrarient, me saoulent. Je m’impatiente. L’eau s’est infiltrée dans mes vêtements et insidieusement, la grisaille alentour a fini par s’inviter dans ma tête. Bon sang cette autre lisière que je surveille depuis le début du printemps est pourtant fréquentée par un sylvestre ! »

2) « Octobre, le rouge. Rouge, comme les feuilles d’arbres se couvrant de leurs plus beaux atours, vite, avant d’être arrachées par le vent et précipitées vers le passé.
Rouge, comme le sang des grands animaux de chasse, sacrifiés pour que se perpétue la forêt. Octobre, mois de contrastes. Tantôt indien s’accrochant à la douceur des souvenirs d’été, tantôt frisquet et déjà habillé d’hiver, il souffle le chaud et le froid, distille son incertitude, hésite entre le choix des armes. Octobre et les cœurs s’emballent ; tout nous ramène à l’essentiel. Comment rester insensible à ces contrastes, dans nos yeux, dans nos âmes ? Comment ne pas s’émerveiller de la forêt, belle à mourir, sans penser qu’une année de plus touche à sa fin, nous rapprochant lentement mais sûrement de la nôtre ?
Jeune, on ne compte pas les octobres. Un peu moins jeune, on devient meilleur comptable. Vieux, on sait compter, mais il est souvent trop tard… »

Adepimage: Est-ce un avantage selon toi d’écrire ses textes pour trouver un éditeur? Comment réagissent-ils par rapport à ton style d’écriture plutôt poétique?
Philippe:
J’ai eu le privilège de travailler avec 6 éditeurs différents et très sincèrement, je pense que le texte a joué un rôle prépondérant, non seulement quant à sa présence en quantité assez importante (tous les éditeurs rencontrés souhaitaient du texte) mais aussi quant au contenu, au point d’ailleurs d’avoir eu le privilège de voir traduire un des livres en allemand et de recueillir de temps à autre des recension très positives concernant les écrits (dont une toute récente dans une revue littéraire, ce qui me va droit au cœur vu l’investissement en la matière :)

Adepimage: Tu as une actualité chargée pour présenter ton ouvrage, peux-tu nous en dire plus?
Philippe:
Effectivement l’ouvrage est bien accueilli et c’est évidement très rassurant (la « valeur » de ses images, un photographe peut la juger tant bien que mal, mais pour les textes, c’est vraiment une crise de confiance à chaque « naissance »…). Après quelque recensions, articles et émissions diverses, l’aventure continue avec plusieurs expos dédiées au livre : « Festival Nature de Namur 2010 », une expo à Bruxelles en décembre, les « Rencontres Natur’images » dans les Vosges au printemps 2011…
J’ai aussi le privilège cette année d’avoir été choisi cet automne comme « ambassadeur » par Canon pour co-animer la journée « Canon Eos Discovery » d’octobre et y présenter quelques images et le livre. Une reconnaissance qui fait plaisir!

Adepimage:Penses-tu déjà à un prochain livre?
Philippe:
J’ai plusieurs idées en tête, car les livres sont devenus pour moi une véritable raison de vivre; par contre entant que photographe amateur ayant un travail à temps plein à assumer dans un tout autre domaine que la photographie et par-dessus le marché des enfants en bas âge avec lesquels vivre des moments précieux, je ne me fais pas d’illusion quant au temps qui va me manquer pour avancer comme je le voudrais dans ces projets…
Mais bon, un temps pour chaque chose ! Vivre l’instant présent, telle est mon ambition première, souvent bien difficile à concrétiser malheureusement…